Créer une marque de mode inclusive : quels enjeux juridiques ? 

Qu’est-ce que la mode inclusive ? 

Comme la mode “éco-responsable” il y a quelques années, pas une semaine ne se passe sans actualité autour de la mode inclusive. Mais que recouvre cette notion exactement ? 

Bien sûr, il n’y a pas de définition juridique de la notion d’inclusion. On ne peut se référer qu’au dictionnaire pour les définir en général puis se demander ce que cela recouvre dans la mode. 

Inclusion 

Action d’intégrer une personne, un groupe, de mettre fin à leur exclusion (sociale, notamment)

Inclusif 

Qui intègre une personne ou un groupe en mettant fin à leur exclusion :

Source : Larousse en ligne 

En partant de cette définition, la mode inclusive peut recouvrir de nombreuses réalités. 

• l’accès à la formation en école de mode

Apprendre les métiers de la mode, notamment celui de styliste ou de directeur artistique, passe par des écoles privées, sélectives et nécessitant un investissement financier important. Par définition, elles ne sont pas accessibles à tout le monde, indépendamment du talent. Pour lutter contre cela, des projets tels que celui de Mossi Traoré de créer une école de mode inclusive sans condition de diplôme ou d’expérience voient le jour. 

• La prise en compte de toutes les tailles et de toutes les morphologies 

L’une des raisons fréquemment avancées pour la consommation de fast fashion ou d’ultra fast fashion est que c’est le seul endroit où toute une partie de la population trouve des vêtements tendance à sa taille. En 2018 l’étude The Body Positive révélait que 80% des femmes de taille 42 et + se sentent discriminées par les enseignes de mode. 66% des Français souhaitent que les enseignes de mode leur proposent une plus large gamme de tailles (XS au XXXL, ou spécificités ‘petite’ et ‘tall’) selon une enquête Kantar menée en 2021. Depuis, la fast fashion a récupéré ce créneau en proposant un large éventail de tailles en ligne.

• La prise en compte de tous les genres 

Mise sur le devant de la scène par l’ascension de Jeanne Friot, mais pratiquée par de nombreux autres designers, la mode non genrée crée des collections pouvant être portées par tout individu quelle que soit son identité de genre. La mode retrouve son rôle de marqueur sociétal et de déconstruction des normes. Le défi économique est de réaliser des coupes réellement flatteuses pour chaque personne. 

• La prise en compte de toutes les couleurs de peau

Les collants ou escarpins décrits comme “nude” ou encore les vêtements ajourés avec un fond beige sont autant de rappels subtils mais réels que le vêtement en question n’est conçu pour mettre en valeur qu’une partie de la population. 

💡 Que peuvent faire les porteurs de projet ou les marques émergentes pour faire vivre cette valeur d’inclusion, au-delà d’un discours marketing étudié ? 

Des actions concrètes pour une mode plus inclusive

En 2023 le magazine Ancré publiait un case study pour créer une marque de mode inclusive. 

Ce qu’il en ressort, c’est que la mode inclusive, c’est bien plus que proposer une diversité de tailles ou réaliser ses shootings avec des mannequins de taille 40 ou 42. En effet, les marques de mode établies voulant progresser au sujet de l’inclusivité ont commencé par faire des efforts portant sur l’image et la communication. Mais il faut aller au-delà pour une réelle efficacité. 

Voici les mesures mises en avant par Ancré : 

• une équipe diversifiée qui a un vécu les problématiques des personnes à inclure 
  
• la prise en compte de toutes les tailles et morphologies dès la conception des vêtements (mannequins cabine de taille 40/42 pour étudier le tombé des vêtements, test des coupes sur des mannequins cabine homme et femme pour des vêtements non genrés)
  
• une spécialisation sur des vêtements adaptés aux personnes en situation de handicap 
  
• des prix justes et transparents, avec une stratégie adaptée pour réduire les marges (précommandes, production à la demande) 
  
• ensuite seulement passer à la communication, en chosissant des modèles diversifiés, mais aussi l’équipe de freelance qui sait les mettre en valeur 
  
• communiquer sur sa vision et les actions mises en place pour progresser, si tout n’est pas possible économiquement dans l’immédiat.

En effet, les enjeux économiques ne sont pas à négliger. Proposer un jean en deux longueurs de jambes différentes ou sur un large panel de tailles a un impact sur le prix de la production et le risque pris avec le stock. Comment anticiper combien de femmes choisiront le jean avec la longueur 30 et la longueur 32 ? Le risque étant de conserver un stock d’invendus ou d’écouler plus lentement le stock, mettant en danger la trésorerie ou bloquant le lancement d’une nouvelle production. 

Une marque émergente sincère dans sa démarche inclusive devra probablement choisir une cible ou un angle, et faire des choix pour préserver un équilibre entre ses engagements et sa rentabilité. 

On peut se demander si la mode inclusive impose à chaque marque de parler à tout le monde, ou plutôt s’il ne devrait pas y avoir plus de place pour des marques ciblant des personnes différentes ?

Est-ce que finalement, être une marque de mode inclusive ce n’est pas de faire de la mode pour tout le monde, mais plutôt faire de la mode pour quelqu’un en particulier ? Cela met en lumière un ensemble de niches à explorer pour les stylistes et designers, afin de se démarquer et de répondre à un vrai besoin. 

Sur le plan juridique, quels sont les enjeux de la mode inclusive ? 

Les enjeux juridiques diffèrent selon l’approche que vous choisissez pour faire de la mode inclusive. 

Un travail au niveau des coupes et du montage des vêtements nécessite l’intervention de professionnels avec lesquels vous devrez réaliser des contrats sécurisants. 

💡Vous souhaiterez peut-être protéger le fruit de votre travail créatif en déposant des dessins et modèles. 

➡️ Si vous vous reposez sur des ateliers pour faire de la production à la demande, l’encadrement de la collaboration par un contrat est essentiel. En effet, vous êtes garant du délai de livraison envers votre client. Un litige avec votre atelier de production peut mettre en péril tout votre business modèle. 

➡️ Si vous personnalisez les vêtements, en réalisant du sur mesure, vous pouvez les exclure du droit de rétractation lors de la vente en ligne. Cela n’est applicable que si le consommateur a été correctement informé, dans les CGV, dont les modalités de communication avant et après la commande sont définies dans le code de la consommation. Il faudra d’autant plus donner confiance au client qui commande et sait qu’il ne pourra pas les renvoyer, en prévoyant des garanties supplémentaires telles qu’un mécanisme de retouches offertes. 

➡️ Si vous fabriquez les vêtements vous-mêmes, vous n’êtes pas pour autant exempté des obligations dont relèvent les metteurs en marché de produits neufs : adhésion à Refashion, paiement de l’éco-contribution, rédaction d’un plan de prévention et d’éco-conception… 

Une communication précise et honnête est la clef de la confiance des consommateurs et permet d’éviter les bad buzz. Portez une attention particulière aux éléments de langage de votre marque et leur appui par des preuves concrètes, sous peine d’être accusé de “inclusion washing”.

➡️ Si vous choisissez le canal de distribution de la vente en ligne, il faut assurer l’accessibilité de votre site, qui est d’ailleurs une obligation pour les entités publiques et les entreprises réalisant plus de 250 millions de chiffre d’affaires en France en vertu de la réglementation européenne. Les autres canaux de vente physiques devront aussi être accessibles à la population à laquelle s’adresse votre marque. 

➡️ Les séances photos avec vos modèles seront encadrées par les contrats nécessaires, pour un respect de l’éthique que votre marque prône (droit à l’image, droit d’auteur).