Qui n’a jamais entendu parler d’appropriation culturelle?
Dans le milieu de la mode, c’est une accusation qui revient fréquemment, à chaque collection inspirée d’une autre culture, à chaque influenceuse qui arbore une coiffe traditionnelle amérindienne lors d’un festival.


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On définit l’appropriation culturelle par l’emprunt du patrimoine culturel et du savoir-faire traditionnel d’une culture autre que la sienne, sans que les détenteurs légitimes en soient informés, sans qu’ils soient pris en comptes, sans qu’ils soient justement récompensés pour leur travail.
Dans le milieu de la mode constamment en recherche de nouvelles inspirations, l’appropriation culturelle est un écueil dans lequel beaucoup de créateurs sont tombés.
Ces dernières années, la conscience collective s’est éveillée et éduquée sur ce sujet.
Dans un effort d’instaurer des meilleures pratiques, respectueuses des droits et du patrimoine culturel de chacun, cet article a pour but de mettre en garde les créateurs sur les limites à ne pas franchir de l’appropriation culturelle, et de conseiller les créateurs sur la meilleure manière d’exploiter leur savoir-faire traditionnel sous l’angle de la propriété intellectuelle.
Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ?
Pour délimiter ce qui relève de l’appropriation culturelle, intéressons-nous à l’inspiration. En tant que créateur, une multitude de choses peuvent faire naitre l’inspiration, faire germer une idée. Cette inspiration provient de ce dont il s’entoure, de sa culture personnelle, de ses voyages, des cultures qu’il rencontre.
L’inspiration devient appropriation culturelle lorsque, confronté à des expressions culturelles qui ne nous sont pas familières, le choix est fait de se les approprier. Cela peut se faire :
- par la création d’un vêtement reprenant des motifs traditionnels,
- par l’utilisation commerciale de termes issus de la culture cible,
- par la commercialisation d’une collection fabriquée selon des modèles et techniques ancestrales.
Tous ces exemples sont de l’appropriation culturelle. La frontière de l’inspiration est dépassée pour entrer dans le territoire de l’emprunt d’un élément à une culture. Emprunt qui, même s’il n’est pas toujours interdit par le droit, a un impact économique et moral sur la culture cible. En l’occurence, elle ne pourra pas elle-même exploiter paisiblement, légitimement et authentiquement son savoir-faire traditionnel.
Vous utilisez des tissus et motifs traditionnels amérindiens ou africains parce que vous aimez cette culture et souhaitez la représenter ? Vous pensez alors seulement rendre hommage à une culture, ce qui n’est en soi pas un problème. Le moment où l’appropriation culturelle est problématique c’est lors de l’exploitation commerciale des savoirs et expressions traditionnelles d’une autre culture, surtout dans le cadre d’un rapport de force déséquilibré. La communauté culturelle d’origine est alors invisibilisée et ne profite pas économiquement des fruits de son histoire et de son travail.
Les obstacles à la protection des savoirs-faire traditionnels
La notion de savoir-faire traditionnel existe dans la doctrine juridique internationale, mais la mise en œuvre de règles contraignantes par les pays se fait encore attendre.
Seul le système de la propriété intellectuelle (c’est à dire, le droit des créations humaines) dispose des outils nécessaires pour protéger la création et son aspect immatériel. Parce que, en réalité, lorsque l’on protège la création, on ne protège pas que le produit fini, mais également son existence en tant que tel. On différencie ainsi l’effort créatif de l’objet final.
Mais, la propriété intellectuelle n’est pas complètement adaptée pour répondre aux questionnements soulevés par l’appropriation culturelle et ce, pour deux raisons :
1. Le domaine public
La première correspond au concept de « domaine public ». Le domaine public est composé des œuvres, des marques, des brevets, des modèles qui ne sont pas ou plus protégés par un droit de propriété intellectuelle.
En l’occurence, un droit de propriété intellectuelle est un droit soumis à une temporalité limitée. Par exemple, on ne possède un titre de dessins & modèles que pour une durée de 5 ans minimum et 25 ans maximum. Ce délai écoulé, le modèle sera « libre de droit » et tout un chacun sera en droit de l’exploiter à son tour.

Des personnes ayant souhaité revendiquer une protection au titre du droit d’auteur pour le tissus madras ont été confrontés à cette problématique, et le tribunal de grande instance de Fort de France a jugé qu’il appartient à un fond commun et que personne ne peut revendiquer une quelconque protection (TGI de Fort de France, 30 mars 1996).
La propriété intellectuelle est difficile à concilier avec les créations traditionnelles, souvent anciennes, qui ne sont plus protégeables selon les principes du droit.
2. L’identification du titulaire de l’œuvre
La seconde difficulté correspond à la titularité d’une œuvre. Le droit de la propriété intellectuelle s’adapte difficilement aux créations collectives. C’est particulièrement le cas lorsqu’une communauté entière serait légitimement en droit de revendiquer un droit sur une création, en raison de leur histoire, et de leurs ancêtres.
D’autre part, si une personne de la communauté concernée souhaite exploiter commercialement un élément issu de leur patrimoine culturel commun, est-il légitime de le faire seul, sans en faire profiter économiquement sa communauté?
Ces différents questionnements sont des éléments bloquant l’appréhension des émanations culturelles par la propriété intellectuelle.
Quels outils pour éviter l’appropriation culturelle d’un savoir-faire traditionnel ?
Le droit de la propriété intellectuelle étant flexible par nature, des solutions au sein de ce dernier ont été trouvées pour célébrer les savoir-faire traditionnels et les émanations culturelles, en assurant à tous que l’intégrité des traditions soit respectée.
1. Le droit des marques
La première option disponible est celle du droit des marques.
L’article L715-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit le système de la marque collective, qui peut être déposée par toute sorte de groupement disposant d’une personnalité juridique (comme une association) et qui suppose la rédaction et l’utilisation d’un règlement d’usage, afin que le produit ou service exploité sous cette marque soit conforme aux traditions.
Au Kenya, cela a permis de protéger sous une marque « Taita Basket » des paniers tressés à la main selon des techniques ancestrales. Toute personne revendiquant ce nom pourra alors être poursuivit pour contrefaçon. L’avantage de la marque est qu’elle peut être renouvelée indéfiniment par son titulaire, cette protection est donc sans limite.
L’article L715-1 du code de la propriété intellectuelle règlemente quant à lui l’utilisation de marques de certification, qui permettent à une personne morale de déposer une marque assortie d’un cahier des charges correspondant au produit ou service à protéger. La différence avec la marque collective est que le déposant n’exploite pas lui-même la marque mais se charge uniquement de sa gestion.
Ainsi, au Canada, la marque « Cowichan » a été déposée par le Conseil Cowichan (institution publique). Cette marque certifie l’authenticité des vêtements créés par les tribus Cowichan, notamment des pulls et des ponchos, qui ont souvent pu être copiés par le passé. L’avantage de ce mode de protection est qu’un acteur public a plus de moyens légaux et financiers pour mettre en oeuvre cette protection efficacement.


Au Mexique, cette pratique est également répandue, le ministère de la culture s’étant donné pour mission de protéger le savoir-faire de ses communautés autochtones.
Ce système de certification indépendante fonctionne de manière similaire à un label.
2. Les partenariats
Finalement, le partenariat est l’une des options les plus satisfaisantes lorsqu’une maison de mode souhaite s’inspirer d’un élément de culture traditionnel. On peut prendre exemple sur la collaboration entre Canada Goose et un groupement de couturières Inuit pour la réalisation de la collection Atigi 2.0 en 2020, pour laquelle 90 parkas ont été cousues en édition limitée par des couturières natives.

Cette démarche a pour effet de faire vivre les traditions locales, entretenir la transmission des savoirs-faire ancestraux, tout en créant de la richesse et du développement pour ces communautés. L’image de marque de Canada Goose n’en a que bénéficié.
Nos conseils juridiques aux marques pour éviter le piège de l’appropriation culturelle :
- Prêter attention aux choix des matières et des motifs qui pourraient appartenir à des communautés culturelles
- Citer ses inspirations dans ses collections, afin de ne pas subir une dégradation de son image de marque
- Utiliser les marques collectives et de certification pour les créateurs issus de communautés culturelles souhaitant célébrer leur patrimoine
- Favoriser et entretenir des partenariats avec des personnes issues des communautés culturelles